jeudi 3 décembre 2009

Mort d'un jardinier



D’abord, il y a le bonheur du travail au jardin, la fraicheur du matin, la rosée sur les bottes, la bêche bien affutée et le geste sûr comme celui de grand-père autrefois, le rouge-gorge et son « chant liquide ». « Tu récoltes ce que tu as semé, tu commences par le rouge et le vert, premiers radis, premières laitues, gotte jaune d’or ou reine de mai, d’abord les feuilles tendres comme du papier de soie, presque transparentes puis qui bouclent comme des oreilles, d’un vert moyen qui s’approfondit encore à l’extérieur alors que le cœur de la salade enfle et blanchit, un cœur qu’on peut arracher aussitôt avec les dents et croquer naturellement dans le jardin en l’assaisonnant avec une tige de jeune échalote. » Puis le jardinier meurt. On n’est pas surpris. Le titre nous avait prévenus. Mais ce qui surprend c’est toute cette vie qui se précipite en vrac : le tambour d’une étrange lessiveuse de mémoire où tournent tous les éléments ayant tissé la trame de l’étoffe qui se déchire. Cataplasmes et poêle à bois, bouillon de bœuf et charbonnier, buvard et Jack London, Coltrane et Chanson de Craonne, autos tamponneuses et Deep Purple, Elle, allongée sur le sable de Stella plage, Burroughs et Istanbul, toutes les chansons, tous les livres. « Et tu ne comprends pas pourquoi ton père crie bord d’aile, tu sais juste que cela n’a rien à voir avec la douceur du ventre des moineaux. » Il tourne, tourne, le manège de cette vie qui va finir. Il s’emballe. Et c’est, soudain, évident : Cette vie c’est la nôtre. Les éblouissements de l’enfance, les bobos et les câlins, les cafouillages adolescents, les cheveux frôlés et cœurs mordus, les sueurs adultes et la paix des bibliothèques, les efforts idiots et rires complices, c’est nous, aussi. C’est ce que nous avons vécu, aussi. Même si tel ou tel détail diffère, pour l’essentiel nous sommes le jardinier. Et c’est pourquoi ça pince si juste, ce livre. C'est pourquoi on s'en régale... d'une larme douce.

Gérard Lambert – Ullmann – Librairie Voix au chapitre – Saint Nazaire

Lucien Suel, Mort d’un jardinier , La table ronde, 17 €.

4 commentaires:

b.mode a dit…

Jolie critique qui donne envie de lire le bouquin

lediazec a dit…

J'ai trouvé ça magnifique de fraîcheur. Envie de manger une salade et de dévorer le bouquin.

Lucien Suel a dit…

Merci pour la chronique et pour la morceau de Coltrane.

b.mode a dit…

Bienvenue ici Lucien et bravo encore à Gérard Lambert pour sa critique