jeudi 7 janvier 2010
Pâté de lapin
Ce jour là quand vous vous approchez de la cage du lapin, il sait pourquoi vous êtes venu. Regardez-le, il tourne dans sa cage, puis en vous voyant arriver se plaque naïvement contre la paroi du fond, en pensant qu’il pourra vous échapper.
Faites attention, un lapin terrorisé peut vous faire de profondes entailles dans les bras, aussi bien avec ses dents qu’avec ses griffes. Vous ferez donc attention de bien le prendre par la peau du dos, et de serrer très fort pour qu’il ne puisse vous échapper, même s’il se débat. En touchant de la main sa fourrure vous vous rappellerez la douceur du petit lapin dans vos bras, la douceur de tous les petits lapins qui sont entrés dans cette cage. Vous vous rappellerez quand vous étiez enfant, lorsque vous regardiez comme hypnotisé votre grand-mère tuer des lapins, sans état d’âme apparent. C’est votre tour maintenant. Votre bras ne doit pas faiblir.
Après avoir serré un nœud coulant autour des pattes arrières de l’animal, vous le suspendez à la branche de prunier, là, juste au dessus du fumier. Le lapin se débat, il pousse des petits cris, il cherche à s’échapper. Vous empoignez alors le semoir pour planter les choux ou tout autre instrument contondant. Energiquement, vous lui fracassez la nuque. Le lapin n’a pas crié. Il ne bouge presque plus, il est animé de quelques tremblements désynchronisés, comme un jouet cassé. Vous lui assénez un second coup. Il ne bouge plus. Vous prenez alors un couteau bien pointu et vous lui arrachez un œil. Il faut tourner dans l’orbite et tirer, jusqu’à ce que le sang coule. Le lapin ne doit plus contenir de sang quand on le mangera. Pendant que le sang coule, vous entaillez la peau autour des 4 pattes, vous lui ouvrez le ventre et vous enlevez rapidement les entrailles, en les prenant à pleines mains, sinon les pattes arrières auront un horrible goût d’urine. Vous lui tirez ensuite la fourrure, qui s’enlève comme un pyjama, se désolidarisant de la peau comme on enlève le dos d’un autocollant, et laissant voir une peau rosâtre aux jolis reflets bleutés. C’est presque poétique. Ces reflets fugaces s’estomperont d’ici quelques minutes. Le sang finit de se répandre sur le fumier, dans une flaque noirâtre qui intéresse déjà quelques mouches.
Récupérez le foie et les rognons, ils agrémenteront le pâté. Enterrez le reste dans le fumier, cela fera un bon engrais.
Vous dépendez le lapin et le posez dans ce plat blanc en porcelaine. Vous sentez le sang frapper à vos tempes, en regardant ce qui n’est plus qu’un vous avez très chaud, vous transpirez. Vous avez plein de sang sur votre manche droite. Il va falloir laver rapidement votre chemise. Vous êtes écoeuré par ce lapin. Plus jamais vous ne tuerez de lapin. Plus jamais vous ne mangerez de lapin. Mais il faut maintenant aller jusqu’au bout. Le lapin est maintenant allongé sur ce plat. La tête lui donne un insupportable aspect de cadavre. On ne laisse pas la tête des lapins au supermarché. Pourquoi faut-il donc qu’il ait une tête ? Et il lui reste cet œil stupide qui vous regarde fixement, l’œil de Caïn qui vous jette son reproche muet. Vous êtes un assassin maintenant, un assassin de lapin. Vous essuyez machinalement la sueur sur votre front. Des bouffées de chaleur vous montent à la tête. Vous allez vous trouver mal.
Vous décidez de lui couper la tête, vous ne pouvez pas l’apporter comme ça à la maison. Si les enfants le voyaient ? Un billot, et un bon coup de hachoir. Mais il ne faut pas briser les os de lapin, les éclats sont coupants et vous risquez d’en avaler un par mégarde. Vous prenez alors le couteau et vous insinuez la lame entre deux vertèbres en cherchant la jointure. Vous n’y arrivez pas. Encore un effort et la tête se sépare du corps et tombe par terre. Vous osez à peine la ramasser, vous la prenez enfin du bout des doigts en détournant la tête et vous la jetez sur le fumier, où la rumeur des mouches se fait plus pressante.
Voilà, c’est fini. Il faut laver cette chemise. Vous sentez un désagréable liquide salé vous remonter dans la gorge. Vous allez vomir…
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5 commentaires:
Encore un épisode des difficiles relations entre l'homme et les bestioles dont il se nourrit. Rassurez-vous c'est le dernier :-)
C'est du vécu ?
Vu oui vécu non, justement ! C'est le genre de choses qu'il est trop tard pour regretter une fois qu'on les a faites...
ô purée... magnifiquement relaté quoi qu'il en soit, ces deux... hum... expériences !
oui, expériences qui remettent dans le réel ce que signifie manger de la viande. Ou du poisson d'ailleurs car il faut aussi les tuer. Donc après ça on a la solution de devenir végétarien, ou de demander pardon à la bestiole avant de la tuer, comme le font toutes les tribus que l'on qualifie de primitives.
Ou d'oublier que dans les barquettes sous cellophane ou sur l'étal du boucher il y a un morceau d'une bête qui a été un moment vivante, ce que nous faisons tous.
Pour être pêcheur je sais que je tue des animaux pour les manger et je les respecte dans le sens où je les mange.
Mais je ne pourrais pas tuer des poissons toute la journée.
Et les poissons ce n'est pas la même chose qu'un lapin. Je ne pourrais pas tuer de lapin ou alors il faudrait qu'il n'y ait plus rien d'autre à bouffer. Et s'il n'y avait plus rien d'autre à bouffer est-ce qu'on mangerait de l'humain ?
Nous sommes tellement tributaires de notre enveloppe charnelle que la question se pose rapidement, comme dans l'histoire du radeau de la méduse ou de cet avion qui s'est écrasé dans les Andes et où les passagers ont survécu en mangeant les cadavres congelés des passagers morts. L'église les a pardonnés.
Nous sommes peu de chose...
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